Le 27 octobre, l'arrêt rendu par la cour d'appel de Douai a sonné comme une violente gifle pour environ 300 victimes de l'amiante du Nord - Pas-de-Calais. Malades, ils doivent rembourser une partie des indemnités qui leur ont été versées. Vous avez dit scandale ?
« J'ai des copains chez qui ça se déclare. En trois ou quatre mois, c'est fini. Je n'ose pas prendre le journal le matin. Dans les pages nécrologiques, c'est Normed, Normed, Normed. Que des copains. » Normed, c'est les chantiers navals de Dunkerque. Une fierté industrielle. Des milliers d'ouvriers et de cadres réunis à un même endroit. À l'époque et selon plusieurs témoignages, il « pleuvait de l'amiante » dans les futurs navires. Maintenant, ce sont les nécrologies qui pleuvent. Déjà un vrai drame.
« J'ai bouffé de l'amiante »
Drame que la décision de justice du 27 octobre n'est pas venue adoucir. C'est le moins qu'on puisse dire. Un arrêt de la cour d'appel de Douai qui donne raison au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA). Lequel réclamait la diminution des indemnisations d'environ 300 victimes de la région (1).
Pour Abdel-Ilid Riouchi, celui qui n'ose pas ouvrir le journal, le remboursement s'élève à 6 900 euros. Environ la moitié des indemnités qu'il a perçues. « Au boulot, j'ai bouffé de l'amiante matin, midi et soir. On cassait la croûte les pieds dans l'amiante. » Résultat : des plaques pleurales avec calcification qui peuvent à tout moment évoluer en cancer des poumons. Cinq médicaments (sans compter les aérosols) à prendre chaque jour. Autant dire que le vélo a été revendu depuis longtemps. « Je veux bien leur rendre leur fric, à condition qu'ils me rendent la santé. »
Parce qu'elle lavait les bleus
Claude Deheunynck, 69 ans, est aussi un ancien de la Normed. Six ans comme ajusteur et les mêmes sanctions que nombre de ses anciens collègues : plaques pleurales, essoufflement dans les escaliers ou pendant une simple marche. Lui devra rembourser 7 941 euros. Incompréhension, colère.
D'autant que Claude a rapporté de l'amiante à la maison. Son épouse, Denise, a les mêmes plaques que lui. Sans doute parce qu'elle lavait les bleus de travail. Claude a les yeux qui se mouillent : « Je culpabilise. C'est moi qui lui ai rapporté ça. » À Thiant, la situation n'est guère plus reluisante pour les anciens d'Eternit. « Je m'attends à rembourser entre 6 000 et 12 000 euros. »
En homme prévoyant, Marceau a déjà fait ses comptes. Pas question à son âge (65 ans) et avec cette vie écourtée de dix ans - « Ce sont les spécialistes qui le disent pour les victimes de l'amiante » - de s'en remettre au hasard. « Ma femme met un peu de côté chaque mois », dit-il. Depuis une visite à jamais gravée dans sa mémoire : « Un huissier est venu nous informer que le FIVA faisait une action en justice. » Un pourvoi en cassation, avec le résultat que l'on sait. « Vous vous rendez compte, un huissier !, souligne Jean-Michel Despres, président du CAPER (comité amiante prévention et réparation) de Thiant. Toutes les victimes se sont demandé ce qui leur arrivait. Pour des gens qui n'ont jamais eu affaire à la justice, c'est choquant. » « Moi j'étais au jardin, ma femme a pris les documents compliqués... », poursuit Marceau. Beaucoup d'incompréhension avant que la décision n'éclate au grand jour : il faudra rembourser... De l'argent déjà parti. « Pas en folies, en voyages ou je ne sais quoi,s'empresse d'ajouter Marceau. Un peu de travaux dans la maison et un petit coup de main aux enfants. »
Et maintenant ? « Pas question de leur demander évidemment : c'était pour leur faire plaisir. Avec ma femme, on a même décidé de ne pas parler du sujet en leur présence. »
Épée de Damoclès
Étonnamment, pourtant, il paraît calme, comme résigné, même s'il laisse poindre, en discutant un peu plus, sa colère et sa déception. Et des regrets pour sa vie professionnelle ? « Aucun, pour moi, c'était Eternit ou la mine, alors... Il fallait bien travailler. Ce que j'ai fait au même endroit pendant 39 ans. » Un seul reproche à ses employeurs quand même : « Il aurait fallu être mieux protégé, et qu'on nous dise les risques. » Au contraire, ce fut le silence et cette décision qui sonne comme une double peine. À ses côtés, Simone et Jean-Baptiste, 22 ans et 42 ans à Eternit et autant d'années d'amiante, ne disent pas le contraire. Avec une vie bouleversée, des difficultés à vivre - « Toutes les nuits, je me lève pour reprendre de l'air et tousser », confie Jean-Baptiste - et l'amertume : « C'est honteux, ça révolte, on est tombé au mauvais moment. » Jean-Michel Despres craint d'ailleurs pour certaines victimes : « J'ai peur des répercussions de cette décision : dépression, voire aller plus loin pour ceux qui vivent plus difficilement les choses. » « De toute façon, tempête-t-il aussi, cela me scandalise, c'est une injustice intolérable. » « Il ne faut pas oublier qu'on les a empoisonnés, poursuit Jean-Marie Lecerf, maire de Thiant, on va leur reprendre leur dû... Alors qu'ils veulent simplement profiter de la vie actuelle, sans savoir ce qui les attend pour leur santé. Surtout qu'ils vivent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. »
(1). Cet arrêt ne concerne que les personnes ayant effectué une demande d'indemnisation complémentaire pour préjudice fonctionnel. Ce, avant l'automne 2009.
Source : Voix du Nord