mardi 6 mars 2012

Sevelnord ou quand fric rime avec Bric


La direction de l’usine automobile « Sevelnord », à Lieu-Saint-Amand (Nord), est engagée depuis quelques années dans une logique de productivité à outrance afin d’augmenter la compétitivité et la rentabilité de l’entreprise. Certains parlent d’une possible fermeture d’ici 2015. Concrètement, cela se traduit par une diminution des effectifs de production associée à une accélération du défilement de la chaîne et à une augmentation de la charge de travail pour chaque salarié. La colère monte dans les ateliers et les débrayages spontanés se multiplient. Dans ce contexte, une section CNT y a été créée en 2010. S’il est certain que nous reviendrons sur l’évolution de la situation, nous vous proposons ce mois-ci une première rencontre avec le représentant de la section CNT, Franck.

Ça fait longtemps que tu travailles à Sevelnord ?

Je suis dans le groupe depuis 1993. À 44 ans, après quelques expériences syndicales, j’ai décidé d’affirmer au grand jour mes convictions révolutionnaires et anti-institutionnelles. Une seule évidence s’offrait à moi : la CNT !

Quelle est l’histoire de Sevelnord ? On y produit quoi, pour qui ?

C’est une société au capital partagé (50/50) entre PSA Peugeot-Citroën et Fiat. Située près de Valenciennes, Sevelnord compte 2 400 salariés en CDI et environ 250 précaires (intérim, stagiaires, CDD, etc.). On y fabrique en majorité des véhicules utilitaires et des monospaces pour ces deux groupes.

Et la section CNT ?

Elle est implantée sur le site depuis le 6 septembre 2010.

Monter une section CNT dans une telle usine, cela ne doit pas être facile… C’est rare dans ce genre de structure. Combien êtes-vous et comment êtes-vous perçus ? Comment les valeurs et les idéaux de la CNT sont-ils accueillis ?

Implanter une section CNT dans un tel groupe, c’est un parcours du combattant, malgré les nouvelles facilités de la loi sur la rénovation sociale d’août 2008. Il faut se battre contre la direction pour imposer ses droits et faire respecter les règles législatives. Mais il faut se battre aussi contre tous les syndicats déjà présents, peu décidés à nous laisser une place dans le paysage syndical !

Notre section est composée de quelques militants et bon nombre de sympathisants qui nous soutiennent et nous encouragent. Nos valeurs cénétistes sont perçues de façon bipolaire : d’un côté, ceux qui sont farouchement contre notre idéologie syndicale ; de l’autre, les sympathisants, en attente d’un nouveau souffle radicalement différent, qu’il soit révolutionnaire ou anarchiste.

En juin dernier, un tract de la section CNT de Sevelnord disait que la direction se moquait des travailleurs… À quelle(s) attaque(s) cela répondait-il ?

Depuis trois ans maintenant, la direction a engagé un processus de réduction de l’effectif et de destruction d’emplois afin d’augmenter la productivité, donc la rentabilité et les profits pour les actionnaires. À coup de plans de restructuration, de départs plus contraints que volontaires, de mutations forcées, de licenciements individuels, tout ça avec la complicité de la direction du travail, l’usine se vide lentement mais sûrement (nous étions encore 4 300 salariés en 2006) ! Cette situation est justifiée par la crise économique, selon la direction. Alors que dans le même temps, le groupe investit des milliards d’euros au Brésil, en Russie, en Inde, en Chine – la « Bric » comme l’appellent les médias. Et pour tous les gros investisseurs avides d’argent, la Bric, c’est le fric assuré !

Comment la situation a évolué au cours des derniers mois ?

La situation aujourd’hui est conforme à la volonté de la direction, c’est-à-dire des effectifs toujours moindres et, pour les salariés, des charges de travail toujours plus lourdes, complexes et diversifiées à outrance. Une menace de fermeture du site vient s’ajouter à cette pression constante. Le but de la direction étant de stresser et angoisser au maximum les salariés pour les rendre esclaves ou démissionnaires.

En décembre, vous dénonciez à nouveau les agissements de la direction mais également l’attitude des « syndicats collaborateurs ». Quels rapports avez-vous avec les autres syndicats ?

À Sevelnord, il y a sept autres syndicats (CFDT, CFTC, SUD, CFE/CGC, FO, SPI, CGT), soit une centaine de mandatés dans toutes les instances, délégués du personnel (DE), comité d’entreprise (CE), délégués syndicaux (DS), comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), commissions, etc. Ils sont quasiment tous corrompus par l’argent et les gros avantages sociaux distillés avec intelligence par la direction (budget du CE : 800 000 euros). Dans ces conditions, quels rapports peut avoir notre section CNT avec ces syndicats ?

Qu’en est-il de la répression dont vous faites état ?

Les objectifs en la matière de la direction n’étant toujours pas atteints, cette répression continue et s’intensifie : suppressions de postes, mutations forcées, licenciements individuels, mauvaise volonté à trouver un poste aux nombreux salariés soumis à restriction médicale…

Quelles actions envisagez-vous ?

Nous intervenons juridiquement (prud’hommes, tribunal administratif, inspection du travail) pour faire condamner les responsables DRH sans foi ni loi, nous tractons avec des contenus sans concessions pour la direction, nous militons au quotidien et défendons les salariés qui nous sollicitent, dans la mesure de nos possibilités car nous sommes encore une petite section.

Certaines de vos interventions ont déjà été payantes ?

Bien sûr. Nous avons assuré la défense de certains salariés afin qu’ils bénéficient de leurs droits, nous nous sommes imposés comme la référence syndicale en matière de vérité, de justice sociale et d’actions militantes.

Quel type de solidarité peut être apporté ?

Une mobilisation continue pour aider au tractage, et la possibilité d’interpeller les médias quand cela est opportun.




SourceArticle paru dans « Le Combat Syndicaliste » de mars 2012
Propos recueillis par Mari Otxandi (syndicat CNT culture Aquitaine)