vendredi 2 mars 2012

J’ai un enfant autiste, j’envisage de m’exiler


Par Magali Pignard, Mère d'un enfant autiste
agrégée de physique
membre actif du collectif Soutenons le mur


«Je vous écris car je suis extrêmement choquée du parti pris sur l’autisme qui se retrouve dans différents articles récemment publiés dans Libération (ici et ). La France a au moins quarante ans de retard sur les pays développés en matière de dépistage et de prise en charge. La situation des autistes est catastrophique. Les autistes adultes d’aujourd’hui, qui n’ont reçu et ne reçoivent qu’une prise en charge psychanalytique sont : soit internés en hôpital ou en institution psychiatrique, bourrés de neuroleptiques, et non respectés dans leurs fonctionnements particuliers ; soit gardés chez leurs parents, si ceux-ci en ont encore la force et qu’ils refusent la première solution. Souvent, ils ont bataillé auprès des praticiens pour retirer leur enfant de l’institut ou de l’hôpital psychiatrique.

Je veux que vous preniez conscience des faits suivants. Les parents n’ont rien contre la psychanalyse. Simplement, leur enfant est victime d’une erreur médicale : on a donné, et on donne encore, un traitement qui, au lieu de faire progresser l’enfant, augmente ses troubles. Lorsqu’un enfant autiste ne reçoit pas un traitement spécifique adapté, ses troubles du comportement augmentent. Pour un enfant de 3 ans, c’est gérable, mais pour un adolescent ou un adulte, c’est gérable seulement avec des neuroleptiques. Vous comprenez ? La priorité, c’est d’apprendre à l’enfant à gérer ses émotions et à communiquer.

Comment seriez-vous si vous vous retrouviez brusquement en Chine, sans argent, ne parlant pas chinois, ne comprenant pas les coutumes du pays, et surtout sans personne pour vous apprendre tout ça ? Vous faites une crise d’angoisse et vous vous retrouvez à l’hôpital avec des psychotropes. Et, petit à petit, la descente aux enfers commence pour vous.

Les parents n’ont rien contre le fait que des personnes consultent des psychanalystes, ils s’en moquent : chacun fait bien ce qu’il veut. Mais ils ne veulent pas que leur enfant ait un traitement inadapté. Et c’est bien le problème en France : pourquoi croyez-vous qu’on ait tant de retard ? Faire une prise en charge psychanalytique sur un enfant autiste a autant d’effet que sur une personne ayant la maladie d’Alzheimer. Aucun effet donc, et des troubles du comportement s’installent. Actuellement, la prise en charge psychanalytique est pratiquement la seule reconnue et financée par l’Etat : les Maisons de l’autonomie ne reconnaissent presque jamais les prises en charges éducatives ou comportementales. Pareil pour les agences régionales de santé qui sélectionnent les projets de structure. Les structures avec psychanalyse sont prioritaires par rapport aux autres.

Quant au fait que les psychanalystes auraient des facilités à entrer dans le monde interne des autistes… c’est faux. Je suis moi-même atteinte de ce qu’on appelle «troubles du spectre autistique», et je peux dire que tout ce que les psychanalystes disent est faux. Je ne m’y reconnais pas du tout, et je ne suis pas la seule. Donna Williams, Temple Grandin et Gunilla Gerland (des écrivaines autistes) ne s’y reconnaissent pas non plus. La plupart des autistes que je connais (oui, les autistes parlent et écrivent) pensent comme moi. Les psychanalystes leur font peur. 

Quant au comportementalisme, dire que c’est du dressage parce qu’il consiste en la répétition du même geste, je vous demande : mais comment avez-vous appris à écrire ? Vous-même, n’avez-vous pas fait des lignes de lettres avant de savoir écrire ? Et pour apprendre à conduire ? Ça vous est venu immédiatement ? Beaucoup de choses que nous apprenons ne nous sont pas spontanées : il faut répéter, répéter. Pour les autistes, c’est pareil, sauf qu’il y a beaucoup plus de choses non spontanées.

Merci de m’avoir lue. Pour moi, l’exil est le seul espoir. J’ai prospecté pour m’exiler à moyen terme en Suède. Je me suis déjà rendue deux fois dans ce pays. J’y ai rencontré des psychologues, qui étaient effarés que l’autisme soit pris en charge par des psychiatres. Là-bas, l’autisme est pris en charge par des psychologues et des neurologues. Et les parents sont tenus au courant de ce qui est fait avec les psychologues. Les enfants vont à l’école, mangent à la cantine, tout est fait pour que la vie des parents ne soit pas affectée. Il est impensable qu’un des parents s’arrête de travailler pour s’occuper de son enfant. Des formations sont prévues pour la fratrie, l’enfant est pris en charge un week-end par mois en camp de loisirs pour que les parents se reposent. Tout est pris en charge par l’Etat. »




Source de l'article : Liberation