En ce dimanche 22 juillet 2012, quoi de neuf en ce monde ???
L'extrême droite veut que tout le monde sème. C'est son côté fleur bleue. Sous
couvert d'agriculture biologique et de protection de la nature, des militants
identitaires en France, franchement néonazis en Allemagne, s’immergent dans la
société pour mieux diffuser leurs idées.
Commençons cette balade champêtre dans le sud de l'Allemagne.
Bienvenue chez Hans-Gunter Laimer, pantalon vert et chemise à carreaux,
implanté en Basse-Bavière. «Quand Laimer organise une journée portes ouvertes
dans sa ferme, il y a un groupe de joueurs de flûte, une conteuse et un marché
aux puces pour enfants. Un véritable petit paradis bio», raconte la Suddeutsche
Zeitung. C'est chou. Sauf que l'agriculteur a présenté sa candidature aux
élections locales sous la bannière du NPD, le parti néonazi présent dans
certains Parlements régionaux. «Qu'est ce que mes cornichons ont de différents
par rapport à ceux d'un Vert?», demande benoîtement l'exploitant.
Il est également membre du conseil d'administration de
l'association Midgard, qui publie le magazine Umwelt&Aktiv, petite revue
consacrée à l'agriculture bio. En apparence, pas de quoi fouetter un chat:
nombre d'articles traitent des biocarburants, des OGM ou donnent des conseils
avisés pour un potager aux petits oignons.
Puis, au détour d'une page, on tombe sur un fatras
ésotérique de mythes germaniques et rites païens. Dans la rubrique «sécurité
intérieure», les lecteurs du numéro de mars 2011 pouvaient aussi apprendre que
le peuple allemand périra, biologiquement et spirituellement, s'il se risque à
procréer avec des personnes d'une autre origine ethnique. Et se voit appelé à
la résistance face au déferlement des mutilations génitales ou de la
lapidation— pratiques forcément juives ou musulmanes– sur le sol germanique. La
revue est d'ailleurs considérée comme «une publication de propagande cachée du
NPD» par la Direction de la sécurité du territoire.
Jean-Yves Camus, spécialiste des extrêmes droites en Europe
et chercheur associé à l'Iris, inscrit Umwelt&Aktiv dans la mouvance
völkisch. Les penseurs de ce courant intellectuel, né à la fin du 19ème siècle,
défendent la nécessité de pureté de la «race», sous peine de disparition.
Fatalement, le paysan allemand, préservé de la modernité, devient l'exemple à
suivre.
Leurs héritiers sont des «hippies à la Mad Max», selon
l'expression de l'historien Stéphane François, persuadés d'être engagés dans
une «guerre ethnique» et que seul le retour à la terre, aux racines peut
préserver leur identité germanique. Leur credo, que l'on retrouve aujourd'hui
sur des affiches du NPD: «Défendre l'environnement = Défendre la mère-patrie».
«Ils diffusent une manière de vivre […] qui est à la fois
nationaliste et autoritaire, et dans laquelle il n'y a pas de place pour le
pluralisme et la démocratie», précise au Guardian Gudrun Heinrich, politologue
à l'université de Rostock et auteur d'un livre intitulé Braune Oekologie («L'écologie
brune»).
Hans-Gunter Laimer est loin d'être un cas isolé. Un article
des Dernières nouvelles d'Alsace recense pas moins d'une soixantaine
d’exploitations agricoles biologiques tenues par des membres du NPD, rien que
le long de la Baltique, au nord du pays.
En réponse à l'ampleur du phénomène, le département de mise
en valeur du milieu rural du Land de Rhénanie-Palatinat a même produit une
brochure intitulée «Protection de la Nature contre l'extrémisme de droite» qui
vise à aider les agriculteurs biologiques résister à l'infiltration de
fascistes dans leurs rangs.
En France aussi des militants, certes bien moins nombreux,
ont pris la clef des champs. Leur marotte, encore et toujours: chacun chez soi
et les vaches seront bien gardées.
A l'été 2011, les habitants de Thorey-en-Plaine, en
Côte-d'Or, découvrent le «Cercle grevelon» qui, rapporte le quotidien
d'informations en ligne Dijonscope, proposait des paniers bio tout ce qu'il y a
de plus anodins, garnis de produits locaux: «une Amap comme une autre». Sauf
que Mathieu Bouchard, trésorier du Cercle (dissout à l'hiver 2011) est membre
du Bloc identitaire, de même que d'autres créateurs de l'association: «Je ne
vois pas ce qu'il y a de politique à vendre des fruits et légumes en faisant
travailler les petits producteurs locaux», précisait-il déjà à l'époque en
dénonçant «un amalgame».Admettons, une hirondelle ne fait pas le printemps.
Pas besoin de s'appeler Hercule Poirot pour dénicher dans la
nébuleuse des sites de la droite radicale d'autres traces de ce noyautage.
Visite express. Le Mouvement d'action sociale, d'inspiration fasciste, entend
«préserver notre environnement, la richesse des pays et des terroirs,
promouvoir une écologie organique qui rende à notre terre sa fonction sacrée et
développer le micro-crédit social, les sociétés d’entraides mutuelles, les
Amap, les systèmes d’échanges locaux».
«À Réfléchir et Agir (revue identitaire, païenne et
racialiste, qui promeut l'idée d'un grand ensemble européen "blanc",
de Brest à Vladivostok), on débat même sur les mérites respectifs de la vie
citadine et du retour au rural», notait Jean-Yves Camus dans un article publié
en mars 2011 par Charlie Hebdo:
«Plusieurs initiatives, qui mêlent projet de vie collective
enracinée, refus de la société de consommation et écologie, voient le jour. Des
réseaux d'achat direct de produits souvent bio sont créés: Coopérative
parisienne; Terroirs et productions de France; ferme de Saumane; Terres
arvernes, tous proches du Bloc identitaire!»
L'association Terre et Peuple, ouvertement racialiste,
diffuse sans sourciller une pétition de Greenpeace contre les OGM. Ti-Breizh,
la Maison de l'identité bretonne, ouverte officiellement depuis 2009 sur la
commune de Guerlesquin (Finistère), entend défendre des «projets à caractère
identitaire, écologique, caritatif». Son site renvoie vers la liste des Amap du
département ou encore vers la Ferme du bout du monde, en Haute-Loire, pourtant
sans aucun lien avec cette mouvance (l'exploitant est élu sur une liste de
gauche). Un braconnage en règle sur un terrain généralement labellisé à gauche.
Une croix gammée tracée dans un champ en Allemagne, en août 2010
«Des tentatives d'enracinement existent depuis les années
1980. Ça reste marginal, d'autant que ces idées ne sont absolument pas suivies
au sein du Front national. Son électorat n'y est guère sensible, précise
Jean-Yves Camus. Mais ça gagne en cohérence avec le mouvement identitaire, au
discours très structuré. Surtout que le thème du localisme est désormais passé
dans les médias. Ces idées sont issues d'une longue tradition, qui remonte aux
années 1920, mais il y a aussi une part de tactique dans la mesure où elles
sont désormais audibles, en particulier par les jeunes.»
Ces identitaires (qui
défendent à la fois une soi-disant «civilisation européenne» et une forme de
régionalisme) ont fait de l'«enracinement» et la défense des terroirs,
rebaptisés «patries charnelles» ou «communautés naturelles», des thèmes majeurs
de leur programme. Ainsi, le Bloc Identitaire (BI) a consacré un débat entier à
l'écologie à l'occasion de sa Convention de 2008.
Arnaud Gouillon, candidat du BI à l'élection présidentielle
de 2012, défend également le localisme et, pour couper court à toute accusation
de racisme, affiche son respect des identités, de toutes les identités. A une
condition: que chacun s'occupe de ses oignons. Chez soi.
Le discours est calibré au quart de poil pour coller aux
aspirations environnementales tout en respectant à la lettre la ligne dure du
mouvement. Derrière la promotion des particularismes locaux, la peur d'être
«submergé» par l'immigration musulmane. Le rejet de l'agriculture intensive
masque une vision fantasmée de la nature et un refus radical de la modernité.
Les vieilles rengaines d'extrême droite ripolinées en vert.
Pour autant, s'agit-il, en France comme en Allemagne, d'une
simple OPA sur des thèmes en vogue et porteurs? Les identitaires marchent-ils
sur les plates-bandes des écolos de gauche ou des altermondialistes pour
s'offrir une caisse de résonance? Ce serait trop simple.
«Globalement, les écologistes se disent de gauche, bien que
leurs valeurs soient clairement conservatrices, donc de droite. Ces références
conservatrices ont donné naissance à un courant de l’écologie politique que
certains ont pu qualifier de "réactionnaire", couvrant un spectre
politique allant de la droite à l’extrême droite, et dont l’influence se fait
de plus en plus grande dans les milieux altermondialistes», précise Stéphane
François, spécialiste des droites radicales et chercheur associé au CNRS.
Une sacrée patate chaude que voilà, développée dans son
dernier ouvrage consacré à la question, L’Écologie politique. Une vision du
monde réactionnaire?. Le chercheur y rappelle que les Verts allemands ont été
influencés dès l'origine par les idées conservatrices de la Nouvelle droite
[1]. Et met en lumière les compagnonnages, le mélange des genres au sein de
revues comme The Ecologist d'Edward Goldsmith [2] —adoubé prix Nobel alternatif
en 1991— Éléments, le magazine de la Nouvelle Droite, ou encore Le Recours aux
Forêts de Laurent Ozon [3]. De quoi brouiller les pistes.
Si, depuis une centaine d'années déjà, des groupes de droite
réactionnaire labourent donc le champs du terroir, du localisme et de l'écologie
(thèmes aujourd'hui estampillés à gauche–) l'idée de diffuser en douce des
idées d'extrême droite est plus récente. Et la technique de dédiabolisation
rudement efficace.
Les spécialistes allemands notent l'implication des militants radicaux, revenus à la terre, dans la vie associative et communale. Selon un expert du «Groupe de travail sur les colons racistes», qui refuse d'être cité nommément, «la plupart d'entre eux prennent un rôle actif dans la vie du village, s'impliquant dans les écoles et les garderies». «Leur objectif est que les gens n'associent plus le NPD à un mouvement politique mais à un groupe établissant de simples passerelles vers la vie des citoyens», explique un autre.
Les spécialistes allemands notent l'implication des militants radicaux, revenus à la terre, dans la vie associative et communale. Selon un expert du «Groupe de travail sur les colons racistes», qui refuse d'être cité nommément, «la plupart d'entre eux prennent un rôle actif dans la vie du village, s'impliquant dans les écoles et les garderies». «Leur objectif est que les gens n'associent plus le NPD à un mouvement politique mais à un groupe établissant de simples passerelles vers la vie des citoyens», explique un autre.
En septembre 2010, le gouvernement du Land de
Mecklembourg-Poméranie avait déjà adopté une loi obligeant toute personne
ouvrant une garderie ou une crèche à s’engager à respecter la constitution
démocratique du pays. Objectif de l’opération: empêcher des néo-nazis de créer
des Kindergarten, d’influencer l’enseignement ou de se faire recruter comme
professeurs dans les crèches et autres écoles maternelles, phénomène qui s’est
développé au cours des dernières années.
«S’emparer d'un système moribond est un mauvais choix
tactique. Mieux vaut à mon sens créer des alternatives constructives à côté
pour préparer l'avenir avec les personnes conscientes de la situation», nous
explique Roark, de son vrai nom Olivier Bonnet, porte-parole de Des Racines et
des Elfes –comprendre «Européens, libres, fiers, enracinés et solidaires» – qui
chapeaute le projet de la Desouchière, né en 2008, projet que Jean-Yves Camus
décrit comme une tentative «d'habitat communautaire pour les 100% Gaulois».
«Pour prendre un exemple, poursuit notre elfe qui se sent
pousser des ailes, plutôt créer une école hors-contrat efficace que tenter
d'influencer laborieusement l'école publique du coin.» Un objectif terre à
terre pour couper l'herbe sous le pied de leurs détracteurs. Et faire germer
des graines dans les esprits.
Voila encore un jour en ce beau monde…. Allez allez circulez
il y a rien à voir.
[1] En France, cette école de pensée, qui se situe entre
droite et extrême droite, entendait lier combat politique et combat culturel.
Elle est opposée à la mondialisation libérale sans être pour autant attachée à
la Nation.
[2] Dès 1968, Edward Goldsmith participe à la fondation de
ce qui allait devenir Survival International, l'organisation de défense des peuples
premiers. Un an plus tard, il lance au Royaume-Uni The Ecologist, une revue
austère, mais qui allait s'imposer comme une référence dans la réflexion sur
l'actualité environnementale (une déclinaison française existe depuis 2000). La
revue critique violemment la Banque mondiale et l'Organisation mondiale du
commerce (OMC). Mais Teddy est aussi un penseur conservateur, voire franchement
réactionnaire, «hostile à l'idée de progrès et à la modernité issue des
Lumières», décrypte Stéphane François.
[3] Cet ancien militaire de 44 ans aime à mettre en avant
son passage chez les Verts, de 1993 à 1995 et se targue d'avoir participé à la
constitution d'Europe Écologie. Sa défunte revue Le recours aux Forêts a publié
les contributions d'Edward Goldsmith mais aussi de Serge Latouche et d'Alain
Caillé, les animateurs du Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales
(MAUSS), dont l'engagement à gauche ne souffre pas de contestation. Après un
tour de piste chez les Identitaires, Ozon est entré en janvier 2011 au bureau
politique du Front national, avant d'en démissionner en août de la même année,
après un tweet dans lequel il expliquait les crimes d'Anders Breivik par «une
explosion de l'immigration» en Norvège.