A la lumière de leurs lampes frontales, casque sur la tête,
les centaines de mineurs en grève de la "marche noire", venue à pied
du nord de l'Espagne, ont traversé Madrid mardi soir, à la veille d'une grande
manifestation pour crier le désespoir de toute une profession.
Portant leurs uniformes de travail bleu foncé, les mots
"Non à la fermeture des mines de charbon", "Pour que renaissent
les villes minières" inscrits sur leurs chemises, les mineurs ont défilé
vers la place de la Puerta del Sol, en plein centre de la ville, accompagnés
par des milliers de Madrilènes.
En grève depuis le début du mois de mai, ils protestent
contre la réduction des aides publiques décidée par le gouvernement, qui selon
eux condamne des milliers d'emplois.
Aux cris de "Les voilà, ce sont les mineurs du
charbon!", "Madrid brûle!", environ 400 mineurs en deux colonnes
étaient arrivés dans la journée des bassins de charbon des Asturies, de
Castille et Leon et d'Aragon, après avoir parcouru plus de 400 kilomètres à
pied.
Agitant leurs drapeaux régionaux, visiblement fatigués après
deux semaines sur les routes, ils sont passés devant le Palais de la Moncloa,
la résidence du chef du gouvernement Mariano Rajoy, criant "nous sommes
des mineurs, pas des terroristes", "ils sont là, ceux qui extraient
le charbon".
"Nous verrons si nos efforts sont récompensés, pour moi
ce n'est pas si évident", remarquait Felix Lopez, 46 ans, venu d'Aragon,
dans le nord-est de l'Espagne.
Tout aussi sceptique, son compagnon Angel Garcia:
"Rajoy a dit qu'il n'avait pas l'intention de nous voir, alors il faudra
continuer la lutte", ajoute ce mineur venu de Bembibre, une ville minière
du Leon, dans le nord-ouest.
Quelques heures plus tôt, ils avaient été accueillis à
Madrid par des coups de klaxons des automobilistes et des sirènes de pompiers.
"Nous devons faire prendre conscience au gouvernement
que les villes minières doivent survivre, tout comme le charbon", explique
Antonio Risco, un marcheur de 52 ans, en pré-retraite après 22 ans passés au
fond des puits.
"S'ils ferment les mines, il ne reste plus rien, ils
avaient beaucoup de temps pour reconvertir les bassins miniers, et ils n'ont
rien fait. S'ils ferment, ils nous jetteront dehors et où irons nous, s'il n'y
a rien ?", demande Francisco Martin, 35 ans, venu d'Arino, dans la
province de Teruel.
En restructuration depuis 20 ans, les mines de charbon
espagnoles ont progressivement fermé. Une quarantaine sont encore en activité,
principalement dans le nord, faisant travailler 8.000 mineurs.
Mais le charbon espagnol, plus cher que le charbon importé,
dépend des subventions de l'Etat, qui sur décision de Bruxelles prendront fin
en 2018.
Ajoutant à ce déclin, le gouvernement de droite, engagé dans
une chasse au déficit public, a décidé de réduire de 301 millions d'euros en
2011 à 111 millions cette année les aides au secteur. De quoi condamner, selon
les mineurs, jusqu'à 30.000 emplois directs ou indirects.
Après l'échec de plusieurs réunions avec le gouvernement, la
grève s'est radicalisée au fil des semaines et a souvent dégénéré en violences
dans le nord de l'Espagne. Mercredi, les syndicats attendent 25.000 personnes
pour une manifestation à Madrid, jusque devant le ministère de l'Industrie.
"Les mines sont rentables. Il y en a peut-être une qui
ne l'est pas, mais le charbon espagnol est rentable, qu'ils ne viennent pas
nous raconter que celui qui vient de 8.000 kilomètres est moins cher",
s'indigne Manuel Cinoceda.
"S'il n'ont pas 160 millions à nous donner maintenant,
que vont-ils nous donner jusqu'en 2018?", s'interroge Francisco Martin en
protestant contre les "20 milliards d'euros" consacrés au sauvetage
de la banque Bankia.
Puis les mineurs éclatent en applaudissements quand l'un
d'eux annonce que leurs compagnons, enfermés depuis le mois de mai dans des
puits du nord du pays, vont sortir pour rejoindre la manifestation de mercredi.