Le 15 octobre dernier, vers 21 h 30, Rodrigue, 15 ans,
circule à vélo dans une rue de Calais où résident un père et ses deux fils. «
Qu'est-ce qu'il à me regarder le sale négro ? » lui lance l'un deux. Avant de
lui arracher son t-shirt et d'en venir aux mains. Il est rejoint par son frère,
qui maintient la victime alors que l'autre la frappe. Le père arrive un peu
plus tard. mais au lieu de mettre un terme à la bagarre, donne lui aussi un
coup de poing au visage de Rodrigue. Le jeune homme de 15 ans s'en sort avec
une dent en moins et trois autres déchaussées.
À l'audience, jeudi au tribunal de grande instance de
Boulogne-sur-mer, le père et ses deux fils racontent une toute autre histoire.
L'agresseur, c'est Rodrigue et la victime, le prévenu. Aucun propos raciste n'a
été tenu par l'un d'entre eux. « C'est ma cousine qui l'a traité de sale noir
quand il est passé et il a voulu se battre avec moi », explique l'un des deux
fims. Le père lui, est intervenu pour mettre fin au conflit, mais Rodrigue
voulant toujours en découdre, il a dû lui en « coller une » pour le remettre
sur son vélo. Devant le président du tribunal, Louis-Benoît Betermiez, la
version des prévenus, qui n'ont cessé d'en changer depuis leurs premières
auditions avec les policiers, est incohérente et peine à convaincre. L'une des
assesseurs du président résume : « Est-ce que tout le monde ment, même les
policiers ? Par contre, on doit vous croire maintenant alors que vous avez
raconté des salades au départ ? » La réponse se fait discrète. Et la tromperie
vire parfois au grotesque. « Avez-vous esquivé les coups de Rodrigue ou en
avez-vous reçu ? », demande le président. « Non...On s'est rendus coup pour
coup. C'est dans ma première version que j'ai dit que je les avais esquivés »,
bafouille-t-il. « Il y a une dame qui a vu comment ça s'était passé. Rodrigue
n'a même pas donné un coup », reprend la mère de la victime.
Me Devos-Courtois, l'avocate de la partie civile, rappelle :
« Votre cousine, une petite fille de treize ans, s'est effondrée en larmes
pendant les auditions avec un policier. Et a fini par avouer qu'elle n'avait
jamais insulté Rodrigue mais que sa mère lui avait demandé de mentir. » Et
revient sur le caractère racial du délit. « Des propos racistes, il y en a eu
avant, pendant et après la bagarre. » Même avis chez la procureur Yasmine
Hedin, qui note « qu'on retrouve à la barre les mêmes sourires narquois que
ceux décrits lors des auditions. Le caractère raciste transpire par tous les
pores de ce dossier. J'ai bien essayé de mettre en cause la version de Rodrigue,
mais aucun élément du dossier ne permet de douter de sa parole. Par contre
vous, vous nous avez raconté n'importe quoi ! » L'avocat de la défense, Me
Fasquel, a beau craindre que « la volonté de combattre le racisme dans la
société ne nous fasse jouer le mauvais procès », ses clients sont reconnus
coupables par le tribunal. Les deux fils écopent de dix et quatre mois, leur
père de huit mois, tous avec sursis. Ils devront payer 3 000 euros de provision
et prendre en charge les frais dentaires de leur victime.