samedi 12 mai 2012

Sauvons Jeju !


L’île sud-coréenne de Jeju-do (175 km de long sur 75 km de large) se situe à 490 kilomètres des côtes de la République populaire de Chine (Shanghai) et à 1 000 km de la Chine nationaliste (Taïwan). Pour les Américains, dont les sous-marins nucléaires ont des missiles à têtes multiples d’une portée de plusieurs milliers de kilomètres, quel est l’intérêt de disposer là d’une nouvelle base navale ?

Le conglomérat Samsung a décroché un énorme marché de travaux publics auprès du ministère de la Défense. Depuis le 7 mars 2012, il explose la façade côtière sud de Jeju-do. Il a déjà utilisé une tonne de dynamite (sur 43 tonnes prévues) afin de creuser une rade artificielle dans la roche volcanique.

Par référendum, les 532 000 habitants de l’île se sont prononcés à 94 % contre cet équipement de guerre, qui les place en première ligne en cas de conflit. Depuis l’annonce en 2007 de ces grands travaux inutiles, toutes les voies de recours démocratiques ont été épuisées.

Sur la demande des maires de la province, le gouverneur Woo Keun-min a demandé l’interruption des travaux, sans succès. Précision : le parti hyperpatriote de l’actuel président de la République de Corée du Sud, M. Lee Myungbak, a misé sa réélection en ce mois d’avril sur ce projet corrupteur et illégal. En effet, l’implantation de ce site militaire se fait en pleine zone triplement protégée du patrimoine mondial de l’Unesco (pour sa faune, sa flore et ses minéraux).

De plus, Jeju-do est un véritable coin de paradis subtropical (aromatothérapie au camphre et à la cannelle), symboliquement inondé d’ours en peluche, car les jeunes mariés coréens y passent leur lune de miel. Outre un surprenant musée d’art africain de pur style architectural dogon (copie de la grande mosquée de Djenné, au Mali, le plus grand édifice du monde en terre crue), s’y trouve Yeomini, l’un des plus merveilleux jardins botaniques de la planète (sur 2,8 ha, avec une serre de 38 m de haut). L’île accueille plus de deux millions de touristes par an, ainsi que de très nombreux congrès : 15 000 spécialistes internationaux de l’environnement y seraient attendus en septembre 2012, pour intervenir à propos de la « sauvegarde de la Terre ». Or, cela risque d’être annulé, car des consignes de boycott commencent à circuler pour protester contre le projet insensé de ce port militaire.

Avant-garde de la péninsule coréenne, Jeju-do connaît une sismicité importante. Elle a été truffée de Harubang (statues en pierre de lave représentant les ancêtres protecteurs, bien plus sympathiques que celles de l’île de Pâques), judicieusement placés par les chamans pour empêcher que la terre ne s’effondre dans la mer. Comme par hasard, les rochers sacrés de Gureombi, où les villageois trouvaient leurs lieux de repos et de recueillement, parmi un ensemble unique de sources et de grottes basaltiques, ont été choisis par l’amirauté américaine pour aménager cette base, contre une proposition de 7,8 milliards de wons faite à Gangjeong (village vieux de 400 ans, dont les habitants ont refusé l’indemnisation et sont expulsés de leurs terres).

En 1905, Jeju-do avait été annexée par le Japon. En 1948, à peine libérés de la tutelle nipponne, ses habitants boycottent les élections imposées par Séoul, qui amènent au pouvoir pendant douze ans l’autoritaire Syngman Rhee : plus de 30 000 civils furent massacrés (en particulier par des milices de rapatriés nord-coréens) et des milliers d’autres emprisonnés dans des camps sur le continent sous le faux prétexte de communisme. Le mouvement Sasam (pour la réconciliation) a obtenu la création d’un parc de la paix en 2008. Le gouvernement coréen a confirmé pour Jeju-do le label « île de la paix dans le monde ».

Aujourd’hui, la Corée du Sud reste occupée par 28 500 soldats américains et connaît de ce fait de nombreux viols et crimes. Le projet de base navale ajouterait plus de 20 000 militaires à Gangjeong – ce qui paraît totalement hors de proportion pour les villageois.

L’Internationale des résistants à la guerre (IRG) appelle à sauver Jeju (voir Union pacifiste n° 498, avril 2012). Plus de 150 associations soutiennent déjà la lutte pour démilitariser Gangjeong. Des personnalités internationales se sont engagées (Noam Chomsky, Robert Redford, etc.).

Angie Zelter, fondatrice de Trident Ploughshares (célèbre mouvement d’activistes contre les sous-marins nucléaires au Royaume-Uni) et citée pour le prochain prix Nobel de la paix, a été expulsée de Corée à la suite de sa participation à des actions non violentes sur les rochers de Gureombi.

Actuellement, 800 objecteurs de conscience sont emprisonnés en Corée. Ils sont rejoints par ces « nouveaux paysans du Larzac » que deviennent les villageois de Gangjeong, qui bloquent chaque jour les camions de béton et les transports d’explosifs.

Un universitaire coréen, Yang Yoon-mo, incarcéré depuis janvier 2012, a entamé une grève de la faim en proclamant : « Si Guroembi vit, je vis ; si Guroembi meurt, je meurs. Ne pleurez pas pour moi, pleurez pour les générations futures qui ne pourront pas être en mesure de connaître la beauté de Gureombi. »

Le jésuite Bartholomew Mun Jung-hyun a été condamné à huit mois de prison avec sursis pour obstruction persistante aux policiers : il a fait appel pour être mis en détention. Huit prêtres se sont même vu infliger des amendes de 100 000 wons (83 dollars) pour toutes sortes de « délits mineurs » contre cette base.
Considérablement renforcées, les forces de police arrêtent à tour de bras les pacifistes locaux (dont Jungmin, déléguée de la section coréenne à l’IRG), pour les libérer le plus souvent après 48 heures, faute de places disponibles en prison.





Source : René Burget - Délégué de la section française à l’IRG et le Monde Libertaire