L’île sud-coréenne de Jeju-do (175 km de long sur 75 km de
large) se situe à 490 kilomètres des côtes de la République populaire de Chine
(Shanghai) et à 1 000 km de la Chine nationaliste (Taïwan). Pour les
Américains, dont les sous-marins nucléaires ont des missiles à têtes multiples
d’une portée de plusieurs milliers de kilomètres, quel est l’intérêt de
disposer là d’une nouvelle base navale ?
Le conglomérat Samsung a décroché un énorme marché de
travaux publics auprès du ministère de la Défense. Depuis le 7 mars 2012, il
explose la façade côtière sud de Jeju-do. Il a déjà utilisé une tonne de
dynamite (sur 43 tonnes prévues) afin de creuser une rade artificielle dans la
roche volcanique.
Par référendum, les 532 000 habitants de l’île se sont
prononcés à 94 % contre cet équipement de guerre, qui les place en première
ligne en cas de conflit. Depuis l’annonce en 2007 de ces grands travaux
inutiles, toutes les voies de recours démocratiques ont été épuisées.
Sur la demande des maires de la province, le gouverneur Woo
Keun-min a demandé l’interruption des travaux, sans succès. Précision : le
parti hyperpatriote de l’actuel président de la République de Corée du Sud, M.
Lee Myungbak, a misé sa réélection en ce mois d’avril sur ce projet corrupteur
et illégal. En effet, l’implantation de ce site militaire se fait en pleine
zone triplement protégée du patrimoine mondial de l’Unesco (pour sa faune, sa flore
et ses minéraux).
De plus, Jeju-do est un véritable coin de paradis
subtropical (aromatothérapie au camphre et à la cannelle), symboliquement
inondé d’ours en peluche, car les jeunes mariés coréens y passent leur lune de
miel. Outre un surprenant musée d’art africain de pur style architectural dogon
(copie de la grande mosquée de Djenné, au Mali, le plus grand édifice du monde
en terre crue), s’y trouve Yeomini, l’un des plus merveilleux jardins
botaniques de la planète (sur 2,8 ha, avec une serre de 38 m de haut). L’île
accueille plus de deux millions de touristes par an, ainsi que de très nombreux
congrès : 15 000 spécialistes internationaux de l’environnement y seraient
attendus en septembre 2012, pour intervenir à propos de la « sauvegarde de la
Terre ». Or, cela risque d’être annulé, car des consignes de boycott commencent
à circuler pour protester contre le projet insensé de ce port militaire.
Avant-garde de la péninsule coréenne, Jeju-do connaît une
sismicité importante. Elle a été truffée de Harubang (statues en pierre de lave
représentant les ancêtres protecteurs, bien plus sympathiques que celles de
l’île de Pâques), judicieusement placés par les chamans pour empêcher que la
terre ne s’effondre dans la mer. Comme par hasard, les rochers sacrés de Gureombi,
où les villageois trouvaient leurs lieux de repos et de recueillement, parmi un
ensemble unique de sources et de grottes basaltiques, ont été choisis par
l’amirauté américaine pour aménager cette base, contre une proposition de 7,8
milliards de wons faite à Gangjeong (village vieux de 400 ans, dont les
habitants ont refusé l’indemnisation et sont expulsés de leurs terres).
En 1905, Jeju-do avait été annexée par le Japon. En 1948, à
peine libérés de la tutelle nipponne, ses habitants boycottent les élections
imposées par Séoul, qui amènent au pouvoir pendant douze ans l’autoritaire
Syngman Rhee : plus de 30 000 civils furent massacrés (en particulier par des
milices de rapatriés nord-coréens) et des milliers d’autres emprisonnés dans
des camps sur le continent sous le faux prétexte de communisme. Le mouvement
Sasam (pour la réconciliation) a obtenu la création d’un parc de la paix en
2008. Le gouvernement coréen a confirmé pour Jeju-do le label « île de la paix
dans le monde ».
Aujourd’hui, la Corée du Sud reste occupée par 28 500
soldats américains et connaît de ce fait de nombreux viols et crimes. Le projet
de base navale ajouterait plus de 20 000 militaires à Gangjeong – ce qui paraît
totalement hors de proportion pour les villageois.
L’Internationale des résistants à la guerre (IRG) appelle à
sauver Jeju (voir Union pacifiste n° 498, avril 2012). Plus de 150 associations
soutiennent déjà la lutte pour démilitariser Gangjeong. Des personnalités
internationales se sont engagées (Noam Chomsky, Robert Redford, etc.).
Angie Zelter, fondatrice de Trident Ploughshares (célèbre
mouvement d’activistes contre les sous-marins nucléaires au Royaume-Uni) et
citée pour le prochain prix Nobel de la paix, a été expulsée de Corée à la
suite de sa participation à des actions non violentes sur les rochers de
Gureombi.
Actuellement, 800 objecteurs de conscience sont emprisonnés
en Corée. Ils sont rejoints par ces « nouveaux paysans du Larzac » que
deviennent les villageois de Gangjeong, qui bloquent chaque jour les camions de
béton et les transports d’explosifs.
Un universitaire coréen, Yang Yoon-mo, incarcéré depuis
janvier 2012, a entamé une grève de la faim en proclamant : « Si Guroembi vit,
je vis ; si Guroembi meurt, je meurs. Ne pleurez pas pour moi, pleurez pour les
générations futures qui ne pourront pas être en mesure de connaître la beauté
de Gureombi. »
Le jésuite Bartholomew Mun Jung-hyun a été condamné à huit
mois de prison avec sursis pour obstruction persistante aux policiers : il a
fait appel pour être mis en détention. Huit prêtres se sont même vu infliger
des amendes de 100 000 wons (83 dollars) pour toutes sortes de « délits mineurs
» contre cette base.
Considérablement renforcées, les forces de police arrêtent à
tour de bras les pacifistes locaux (dont Jungmin, déléguée de la section
coréenne à l’IRG), pour les libérer le plus souvent après 48 heures, faute de
places disponibles en prison.
Source : René Burget - Délégué de la section française
à l’IRG et le Monde Libertaire