En ce samedi 30 juin 2012, quoi de neuf en ce monde ??? Il y
a une semaine la commission électorale égyptienne a fini par proclamer les
résultats de l'élection présidentielle et la victoire de Mohammed Morsi,
candidat du Parti de la liberté et de la justice, autrement dit le parti
politique constitué par les Frères musulmans. Ce dernier d’ailleurs prêtera serment ce jour devant la Cour
constitutionnelle
Mais comme toutes les élections cette dernière est un leurre
pour le peuple égyptien, car le Conseil supérieur des forces armées (CSFA) qui
depuis la chute de Moubarak il y a quinze mois gouverne ce qui est censé être
une « transition démocratique » en Égypte, avait en effet pris ses précautions
en rognant d'avance les ailes de l'élu. Le Conseil constitutionnel avait annulé
les élections de l'Assemblée législative effectuées en décembre et janvier et
qui avaient abouti à une majorité islamiste dans laquelle les Frères musulmans
tenaient la part du lion. Ainsi, si Mohammed Morsi a été déclaré élu, il ne
dispose en fait de guère de pouvoir et reste dépendant du bon vouloir des
militaires.
Selon tous les commentaires, d'intenses tractations seraient
maintenant en cours entre les militaires et les Frères musulmans, sur les
modalités d'un partage du pouvoir entre les deux forces. L'assemblée
législative serait remise en place, mais les Frères musulmans s'engageraient à
ne pas constituer un gouvernement uniquement islamiste et à ne pas chercher à
introduire la charia comme base de la législation.
Si un tel compromis finit par s'instaurer, il serait dans la
continuité de ce qu'était le pouvoir égyptien dès avant le départ de Moubarak.
Comme dans d'autres pays à majorité musulmane, le parti islamiste base son
influence sur des réseaux construits dans les quartiers autour des mosquées et
qui jouent auprès de la population un rôle d'aide sociale, y compris souvent
médicale, alors que l'État s'en désintéresse. Encadré par de riches bourgeois,
des médecins, des ingénieurs, il s'appuye sur des militants religieux nombreux
et très présents.
C'est pourquoi, si l'armée tenait à garder les leviers
essentiels du pouvoir politique, elle a toléré de plus en plus largement les
Frères musulmans, dont cette implantation dans les villes et les quartiers
s'avérait un puissant facteur de contrôle social, empêchant que la misère de la
population ne débouche sur des explosions incontrôlables. La crise ouverte avec
la chute de Moubarak leur a permis de se renforcer encore, et cette fois de
pouvoir prétendre au pouvoir politique, mais ce sera toujours à condition
d'accepter de le partager avec d'autres, sous le haut arbitrage de l'armée.
D'autre part, ils sont maintenant en butte aux surenchères des salafistes, qui
trouvent les Frères musulmans trop enclins au compromis.
Des contacts ont visiblement été pris avec les puissances
impérialistes influentes auprès des militaires, en premier lieu les États-Unis,
qui ont cherché à s'assurer que ce parti religieux saurait fournir des
politiciens responsables avec qui ils pourraient collaborer, sachant se
souvenir que les Frères musulmans sont nés autrefois en Égypte grâce au soutien
des services secrets anglais.
On pourrait donc assister maintenant à la suite de cette collaboration
plus ou moins conflictuelle entre les islamistes et le pouvoir militaire. Un
peu comme c'est le cas en Turquie, et comme cela a été le cas en Algérie dans
le passé, l'armée pourrait se présenter comme la garante du maintien d'une
certaine laïcité, du respect des minorités religieuses non musulmanes, sorte de
rempart contre l'obscurantisme. Mais en Turquie cet affrontement est en grande
partie factice, car l'armée au pouvoir a été la première à faciliter la
croissance de la présence islamiste, dans laquelle elle voyait une assurance
contre le développement des idées de gauche, voire révolutionnaires.
Au fond, il en est de même en Égypte, où la croissance du
parti islamiste a été tolérée par les militaires depuis des années, au point
que, si ceux-ci lui contestent encore aujourd'hui le fait d'exercer pleinement
le pouvoir politique, on peut dire que depuis longtemps c'est ce parti qui a le
pouvoir dans la société. Il suffit de voir comment le vendredi pas une rue du
Caire n'échappe à la retransmission tonitruante des prêches des mosquées par
des haut-parleurs installés à demeure, ou comment en quelques années le port du
voile a été imposé presque unanimement aux femmes, la seule excuse pour ne pas
le porter étant le fait d'être chrétienne.
À l'image de l'élection présidentielle disputée entre un
candidat islamiste et le candidat de l'armée, quinze mois après le départ de
Moubarak, le pouvoir semble en voie de s'organiser entre une armée se
présentant comme la garante d'un certain modernisme, et un parti obscurantiste
se présentant comme la voix du peuple et son élu démocratique ; une situation
ne laissant à la population que le choix de se demander lequel des deux partis
est le plus à redouter.
Car, justement, aucun des deux ne peut représenter les
aspirations démocratiques et sociales qui avaient commencé à s'exprimer en
janvier et février 2011 contre le pouvoir de Moubarak. La révolution reste à
faire en Égypte, et elle devra s'affronter à ce qui apparaît désormais comme
les deux facettes du pouvoir de la bourgeoisie et de l'impérialisme.
Voila encore un jour en ce beau monde…. Allez allez circulez
il y a rien à voir.